L'angoisse du sommeil

✒️ Enzo Sandré · 📆 17/08/2021 · 🏺 Artisanat · 🤳 Personnel

Certaines personnes sont génétiquement des couche-tard. J’en fais partie et du lycée à ma démission l’an dernier, j’en ai beaucoup souffert. Dans ce témoignage, j’explique ce que cela implique et comment je m’en suis libéré.

Cet article est un témoignage. Il n’a aucune valeur scientifique. Il n’a pas à être utilisé pour une quelconque revendication. Cela paraît évident, mais à l’heure d’Internet il faut le rappeler.

Je sais grâce à des tests génétiques grand public que j’ai de fortes chances d’être un couche-tard. Je n’ai pas attendu ce test pour m’en douter, mais poser un mot sur cette angoisse du lever qui m’a suivie de l’adolescence jusqu’à la fin de mes années de salariat me soulage.

La vie dans une société matinale

Mes années lycée furent les pires de ma vie.

Biologiquement, je suis inapte au travail intellectuel avant 10h du matin et suis incapable de m’endormir avant 1h, mais bien reposé je peux travailler jusqu’à 23h.

Le bus scolaire pour me rendre au lycée passait à 7h. Pour diverses raisons, je n’étais pas interne.

J’arrivais fatigué au lycée, au point d’avoir certains matins des rêves éveillés dans le bus. J’étais frustré de ne rien comprendre à des matières que j’appréciais au collège. De ne pas arriver à réfléchir de la journée, comme si j’avais un QI de 30. Je m’étais habitué à avoir une certaine aisance intellectuelle depuis la maternelle et là plus rien, le trou noir.

Le midi, je me gavais de sucre et de Red Bull stocké dans mon casier pour tenir le coup. J’avais parfois des emballements cardiaques, qui ne me perturbaient pas plus que ça à l’époque.

Le soir, à nouveau 1h de bus, puis le pire moment de la journée : les devoirs. Certains soirs mon cerveau disait stop, n’arrivant même plus à calculer une division simple ou à se remémorer un évènement historique.

Pour autant, je ne parvenais pas à m’endormir avant minuit, écoutant NRJ sur mon baladeur MP3. C’était mon seul moment de divertissement de la semaine. Les week-end servaient à éponger ma dette de sommeil.

Les vacances scolaires étaient une planche de salut, un radeau de fortune vite englouti à nouveau par une mer démontée. Ce calvaire a duré 3 ans.

Puis je suis devenu étudiant en informatique à Bordeaux. J’avais 16 ans, un petit appartement proche de l’école. Ma condition s’est améliorée. J’ai repris goût au travail intellectuel et à la vie sociale. Les cours commençaient à 9h, ce qui est acceptable, avec 30 min de trajet matinal à pied pour me réveiller. Lever : 8h15. Une chocolatine et un café sur le trajet à la boulangerie pour gratter la moindre minute de sommeil.

Gratter la moindre minute de sommeil.

Suite au traumatisme du lycée, c’était devenu une obsession. Retard savamment calculé pour être disciplinairement acceptable, micro-optimisation de la routine matinale, jusqu’à sécher certains cours avec des excuses douteuses pour gagner une heure dans la semaine : j’en étais là. Même les soirées, évènement indispensable de la vie étudiante, étaient acceptées, déclinées et écourtées en fonction de cet indicateur : quel impact sur la dette déjà importante de sommeil que je traînais ?

Mon addiction au sucre n’a pas cessé pendant mes études et le café s’est invité dans mes journées avec une consommation débridée pendant 2 ans (9 à 13/jour). C’était le prix que mon cerveau réclamait pour continuer.

L’alternance est venue se greffer à cette mécanique rodée, avec des semaines en entreprise où le lever était obligatoire et des cours devenus variable d’ajustement, donc de plus en plus fréquemment séchés le matin. Pour aller travailler, il fallait que je prenne la route et je ne compte pas les comportements dangereux à cause de la fatigue sur les boulevards. Il m’est arrivé plusieurs fois de somnoler au volant et de reprendre le contrôle in extremis sur l’autoroute en rentrant chez mes parents pour le week-end.

Vint la fin des études et le temps du travail. Plus d’excuses et d’absences faciles. Le retard matinal était plus ou moins accepté selon la culture de l’entreprise où j’étais amené à intervenir. La moindre minute de sommeil était comptée et recomptée, comme une pièce dans la bourse d’un avare. J’ai appris à haïr les daily, rituel agile commun dans les équipes de développement, sans aucune raison valable. Simplement parce qu’ils étaient en plein dans ma période d’éveil. Avec l’habitude, j’ai appris à conduire (sur la rocade, donc très dangereusement), dans un état de demi-sommeil.

En janvier 2020, c’était la mission de trop en ESN. Trop loin de chez moi, dans un environnement urbain que j’abhorre, avec des embouteillages, pour retrouver toujours les mêmes antipatterns 1000 fois constatés en entreprise. J’ai posé ma démission. Elle fut effective lors du premier confinement.

C’était terminé. Plus jamais ça. Le repos, enfin.

La joie simple de l’indépendance

Depuis que je suis indépendant, ma routine, que je ne cache d’ailleurs pas à mes clients, est de 10h-22h avec un pause le midi et le soir. Je n’ai jamais été aussi productif et apaisé de ma vie.

Parfois, mes missions d’enseignement ou d’installation sur chantier me font me lever tôt, parfois 6h00, parfois 8h00. Cela ne me pose aucun problème et je suis même heureux de casser la routine. Ce sont des missions courtes et j’ai amplement le temps de dormir après pour compenser. Même chose pour les soirées, où je peux passer un bon moment sans regarder ma montre.

J’ai perdu cette obsession de l’heure de sommeil.

Complètement.

Je réalise désormais d’où viennent ma phobie des missions longues et mon refus catégorique de la régie et du travail en équipe de développement. Outre l’immense liberté d’organiser mon emploi du temps, devenue indispensable avec un chantier de rénovation en cours, travailler avec des lève-tôt qui imposent leurs horaires, contractuellement ou par pression sociale, ne me convient pas.

J’ai pété les plombs à deux reprises et rompu le contrat de prestation à chaque fois. Les antipatterns expliquent mon choix, la phobie des horaires matinaux expliquent la brutalité à laquelle j’ai choisi de cesser les prestations.

Mon meilleur code est fait aux alentours de 20h, sur un fond de Graham Plowman ou de Russell Brower. C’est un fait que j’ai constaté et mesuré. Et à cette heure là, la plupart des gens normaux ne travaillent pas.

Je n’ai aucun problème avec les relations professionnelles au long cours. Mon plus ancien client date d’avant même la création de mon entreprise et la plupart de mes clients actuels remontent à plus d’un an.

J’ai en revanche horreur des horaires imposés au-delà de quelques jours. J’ai trop souffert et ça n’est ni dans mon intérêt, ni dans celui de mes clients, tant mon travail matinal est médiocre et mon humeur massacrante. J’y mets de préférence les paperasses ou les taches routinières comme les mails ou le nettoyage de code. J’ai arrêté de développer des features avant 11h, c’est à jeter presque à tous les coups.

Conclusion

Notre société a une norme concernant les horaires standards, calquée sur ceux de la majorité de la population, plutôt lève-tôt (et encore, je me demande si une étude à été faite, tant les articles de magazines féminins « 10 conseils pour se lever du premier coup« , scientifiquement débiles, pullulent) et monophasique (ce qui n’a pas toujours été la norme).

Loin de moi l’idée de contester une norme pour qu’elle s’adapte à une minorité. Ce n’est pas mon propos, une société fonctionnelle a besoin de normes et de codes sociaux. Mon témoignage a plutôt pour but :

Si je peux être utile à quiconque, qu’il me contacte.

Avertissement

Mon article ne se substitue pas à l’avis d’un médecin du sommeil.

CONSULTEZ ! (un médecin du sommeil, pas un chaman, un rebouteux ou un dealer).

Enzo Sandré